Entretien : «Nous n’avons pas besoin de plus de lois, pourvu que celles existantes soient bien appliquées !»
Au moment où les femmes réclament le droit d’accéder aux postes de décision, d’autres bataillent pour les droits élémentaires comme l’éducation et la santé.
L’existence des lois ne change rien à la détresse des femmes en situation de précarité si elles ne sont pas appliquées.
En l’absence d’organismes de prévoyance sociale, ce sont les associations qui tentent de combler les carences de l’Etat.
Saâdia Dibi, présidente de l’Association féminine de bienfaisance El Khir, compte sur les femmes leaders pour faire entendre toutes les femmes et plaider en leur faveur.
– Finances News Hebdo : Quels sont les domaines pour lesquels œuvre votre association ?
– Saâdia Dibi : Notre association œuvre à l’amélioration de la condition des femmes à Essaouira à travers les multiples projets lancés par El Khir. Notamment les projets d’alphabétisation, de formation professionnelle…
Nous avons également un centre d’écoute, de soutien juridique, psychologique et médical des femmes. De même, nous œuvrons dans la réinsertion des femmes dans le monde du travail pour leur assurer une autonomie financière.
En effet, à travers notre expérience avec les femmes en détresse qui nous ont contactés, nous avons pu constater qu’elles se retrouvaient sans ressources à la suite de divorce, du décès ou du départ de leurs conjoints. Aussi, très tôt, nous avons saisi l’importance de l’aide à l’autonomisation financière des femmes. Nous avons également établi des rapports avec des organismes internationaux par la conclusion de conventions portant sur la formation et la réinsertion professionnelle de ces femmes. Et pour cette deuxième année de cette expérience, nous avons aidé 64 femmes à se former à des métiers portant sur les activités hôtelières et de restauration.
Le volet économique est très important dans l’amélioration de la condition féminine !
– F. N. H. : Plusieurs thématiques ont été débattues lors de ce WT. Est-ce qu’elles collent à la réalité de la femme dans une ville comme Essaouira ?
– S. D. : Effectivement, bien que la question de l’émancipation féminine paraisse globale, elle se décline en paliers. Ainsi, pour le cas des femmes que nous aidons, on est bien loin de la problématique de l’accès aux postes de responsabilités puisqu’on se bat encore pour des droits élémentaires comme l’accès à l’école ou encore l’accès aux soins de santé. C’est une problématique qui touche une large population de femmes, notamment dans le monde rural. Nous avons des femmes qui viennent suivre des cours d’alphabétisation à l’insu de leurs époux, alors comment peuvent-elles accéder à des postes de responsabilité dans cet état actuel des choses ? Nous militons, à notre niveau, pour que l’accès à l’école soit garanti, et ce n’est qu’ainsi que les femmes pourront acquérir un savoir et une conscience de leurs droits, notamment dans le développement économique et politique du pays, et par conséquent participer aux prises de décision.
Mais j’insiste pour dire que le WT est une idée formidable qui permet de réunir des femmes de tous horizon pour justement partager les diverses et multiples expériences. J’espère que les femmes qui ont participé à cette édition pourront porter notre voix et influencer les décideurs en faveur des femmes rurales et des femmes privées des moyens d’éducation et de santé.
– F. N. H. : Est-ce que ces femmes ont pris conscience des avancées apportées par la Constitution ? En tant qu’association qui apporte une assistance juridique, le cadre réglementaire existant vous semble-t-il suffisant pour assurer l’accès des femmes à leurs droits ?
– S. D. : Aucunement ! En effet, quand on élabore des lois sans mettre en place les mécanismes de leur application, ces lois ne servent dès lors à rien !
Je prends l’exemple du code de la famille : la loi garantit bien des droits mais, dans la réalité, en l’absence des conditions de son application, ces droits restent illusoires. Nous avons même vu le cas d’une femme ayant fait appel à notre association, qui a été battue par son mari devant le tribunal qui statuait sur leur divorce. Elle est restée dans le coma durant deux mois dont elle est sortie avec de graves séquelles, notamment un œil abîmé, des pertes de mémoire et une incapacité à marcher.
Son mari n’a été condamné qu’à huit mois de prison et quand nous sommes montées au créneau, on nous a expliqué que c’était la peine maximum prévue par la loi. Huit mois seulement pour une personne qui a gâché la vie de cette jeune femme.
Tant qu’il n’y aura pas une loi qui criminalise la violence conjugale, nous allons encore assister à des drames similaires.
Indépendamment de la loi, il y a lieu de noter l’absence des services de prévoyance sociale pour prendre en charge pareil cas. Et même si notre association tente de le faire, il lui est difficile de se substituer à l’Etat ! C’est notamment le cas lors du non paiement de pensions alimentaires, bien qu’un jugement définitif ait été rendu en faveur de la femme.
A mon sens, nous n’avons pas besoin d’autres lois en plus de celles qui existent. Nous avons besoin que celles qui sont en vigueur soient appliquées et d’un soutien à l’action des associations de promotion des droits des femmes, en particulier celles qui sont en situation de précarité.
Dossier réalisé par Imane Bouhrara
Source: horyou.com